"La nature est hostile et la vie est un combat."
Cette phrase avait toute sa signification lorsque l'homme avait encore des prédateurs dans la nature sauvage. Mais elle est de plus en plus désuète à notre époque. Pourtant…
Novembre 1990. Nous sommes sur un col, à 1200 mètres d'altitude, dans les Pyrénées. Nous venons de planter la tente sur une pelouse rase. Tout autour de nous, une grande forêt de hêtres. Nous sommes montés ici en voiture, par une route à peine carrossable. La nuit est tombée. Une légère brume flotte au ras du sol. La lune est pleine, elle enveloppe la clairière de sa lumière blafarde.
Et nous sommes pétrifiés sur place !...
En effet, depuis dix minutes, une bête nous tourne autour, à une centaine de mètres, dans la forêt de hêtres. Une bête, ou plutôt un hurlement terrifiant, abominable. Et dans cette atmosphère étrange et irrationnelle, le malaise ne tarde pas à nous gagner. La vieille peur ancestrale de la bête des ténèbres que l'on ne voit pas, mais dont on sent le souffle brûlant derrière soi…
Pourtant nous ne sommes pas novices en matière de bivouac en pleine nature. Des bruits d'animaux, notre mémoire en est pleine. Mais là ! les explications ne se bousculent pas. On a bien essayé de se persuader que cela pouvait être un cerf au moment du brame, ou un chien errant… Mais lorsque retentit ce hurlement prodigieux qui nous tourne autour et semble se rapprocher chaque fois un peu plus, il nous faut bien nous rendre à l'évidence, nous n'avons jamais rien entendu de semblable…
Une portière claque, le moins fier d'entre nous vient de se réfugier dans la voiture. Les deux autres ne tardent pas à faire de même. On est mieux à l'intérieur ! D'autant plus que l'animal semble approcher, de l'autre côté du col. Protégés derrière les vitres entrouvertes (mais pas trop !) de la voiture, nos yeux s'écarquillent, cherchent à percer la pénombre.
Soudain, une forme grise, là-bas, à la lisière de la forêt. Je retiens mon souffle. La chose semble s'arrêter, et le hurlement glacial déchire à nouveau la nuit. L'émotion est à son comble.
C'est sans doute un loup solitaire venu d'Espagne, il y en a encore là-bas !
L'émotion fait alors place à l'excitation. Un loup ici ? Ce serait fantastique…
Un quart d'heure après, l'animal rôde toujours ! Mais il ne semble pas belliqueux, pas plus qu'il ne veut se montrer. Pourtant on dit bien "quand on parle du loup… ". Et puis, la plaisanterie a assez duré, il faut clarifier les choses, savoir ses intentions !
Un quart d'heure après, l'animal court toujours ! Si, si… Mais cette fois il se rapproche franchement.
- "Chutt ! il doit être là, à une vingtaine de mètres, devant la voiture."
- "Oui, attends, attends qu'il soit tout près et allume les phares…"
Les souffles sont courts, les cœurs battent la chamade, le moment de vérité approche.
- "Maintenant, allume ! …"
L'instant de surprise passé, c'est la grosse crise de rire… La monstrueuse bête des ténèbres se révèle être un malheureux chien de chasse, perdu et à la recherche de son maître, flairant inlassablement sa trace et s'arrêtant tous les vingt mètres pour hurler sa détresse.
Un chien de chasse ? Oui ! Mais certainement un ténor dans son espèce…
Je lui suis très reconnaissant, car, dans son malheur, il nous a permis de vivre ce qu'ont dû redouter, à la nuit tombée, des générations de nos ancêtres, à une époque où la nature était plus puissante que l'homme et où elle avait ses mystères. A l'aube du 21ème siècle, nous gâchons inexorablement les derniers espaces de "wilderness". C'est dommage, car une nature aseptisée, c'est une nature sans saveur !
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