Loup de Saintonge

Plus notre bulle de la connaissance est grande, plus on se rend compte de l'étendue de notre ignorance. Dans notre bulle, il y a ce que l'on sait que l'on sait et ce que l'on ne sait pas que l'on sait. Mais à l'extérieur, il y a ce que l'on sait que l'on ne sait pas, et l'immensité de ce que l'on ne sait même pas que l'on ne sait pas.

En sortant de l'école, notre bulle est tellement petite que l'on croit presque tout savoir. Mais si l'on a ces deux vilains défauts que reprochent souvent les parents et les sociétés "modernes" aux enfants, la curiosité et l'esprit rebelle, alors, au lieu de regarder sagement l'intérieur de sa propre bulle, on regarde vers l'extérieur, vers les bulles des autres, et vers le grand large. Et notre bulle de la connaissance s'agrandit, s'agrandit, s'agrandit... on partage les connaissances avec les autres et à force d'observations, de réflexions et de questionnements, on découvre par soi-même de nouvelles étendues. Parfois même, elles semblent vierges et l'on s'étonne ne ne pas y trouver tout de suite la bulle d'un autre enfant curieux ou d'un scientifique un peu fou.

Derrière les montagnes et les vallées se cachent d'autres sommets et d'autres plaines, l'horizon s'ouvre de plus en plus et l'on se rend compte progressivement de l'immensité de notre ignorance, et avec les premiers cheveux blancs, l’arrogance fait place à l'humilité et la bienveillance. On découvre que ce que l'on croyait être des vérités ne sont en fait que des apparences qui cachent d'autres vérités plus fondamentales.

Parfois on peut douter des raisons de notre existence et se dire que rien ne va plus. Parfois on peut perdre son temps et finir blasé des mondes virtuels et des remous insipides des sociétés de l'instant. Mais si l'on s'arrête de courir et que, les pieds dans l'herbe, la tête dans les étoiles et les mains posées sur la roche, on se penche pour observer ce qui ne fait pas de bruit, on découvre soudain des mini bulles de connaissance que l'on était loin de pouvoir imaginer. Oui, les insectes, les oiseaux, les animaux sauvages, et même les plantes, les champignons, les arbres... tous les êtres vivants jusqu'à notre Terre elle même, et pas seulement les hommes, ont leurs propres bulles de connaissances.

L'intelligence et la faculté à réfléchir et comprendre est un sommet de la complexité de la nature et un cadeau que nous fait l'univers. Il n'y a pas de plus grande satisfaction dans l'existence que de partager de la connaissance, de l'infiniment petit à l’infiniment grand. Voir la beauté infinie et l'extraordinaire complexité, comprendre un peu ou commencer à sentir et a deviner l’interaction des lois de la physique avec les lois de la biologie et du comportement des nuages ou des êtres vivants. Découvrir petit à petit la place que chacun et chaque chose occupe dans l'univers, son unicité, sa raison d'être et son caractère irremplaçable.

L'intelligence individuelle aide à comprendre et à bâtir des choses dans l'instant ou dans le temps d'une vie d'homme. Mais ces constructions et ces technologies, assises sur les lois simples de la physique et de la chimie, ne sont que des jeux d'enfants insouciants. Elles paraissent bien rudimentaires et insignifiantes, même si elles peuvent être destructrices, au regard des mystères de la vie. Il serait particulièrement frustrant de comparer la débauche d'énergie, les tonnes de technologie et les milliards de lignes de code qu'il faut aligner aujourd'hui pour développer une intelligence artificielle, un robot ou un drône, à peine capable de faire un pouième de ce que sait faire une abeille ou un colibri et combien de fois moins utile qu'elle ou lui à notre propre existence.

Nous sommes la vie, nous sommes des petits écosystèmes naturels en coévolution avec des milliards d'autres. Jamais nous ne pourrons rivaliser avec les forces du temps, du hasard et de la complexité de l'univers. On peut rêver que la connaissance pourrait nous permettre de découvrir les limites de notre puissance et nous rendre humbles et sages devant l'improbable et extraordinaire beauté de la nature. A force d'erreurs, à force d'observations et de réflexions, l'idée pourrait devenir une évidence que ce n'est pas pour notre technologie que des millions d'années d'évolution ont fait de nous ce que nous sommes, que ce n'est pas pour quitter le navire que nous aurons sabordé, mais que c'est pour notre capacité à comprendre l'univers et à aimer la vie de notre planète sous toutes ses formes, pour être capables le moment venu de la protéger de nous-même et de nos plus bas instincts animaux destructeurs.

Manifestement, nous sommes à un tournant de l'histoire de notre planète. Soit on se laisse gagner par le pessimisme et c'est l'ignorance, l'obscurantisme et le rejet de l'autre et de nos propres responsabilités qui gagnent. L'intelligence fait alors de nous une sorte de parasite monstrueux qui va finir par provoquer la mort dans d'affreuses souffrances de l'être vivant supérieur qui l'abrite. Ou alors, on reste optimistes et l'on se dit que la Nature dans son extraordinaire complexité a fait un pari sur nous. Notre intelligence serait le mécanisme ultime de survie de notre petite planète vivante, le plus grand écosystème naturel que nous connaissions et dont nous faisons partie dans ce grand univers minéral et froid. Alors, c'est de notre responsabilité à chacun de faire grandir notre bulle de la connaissance, de gagner en humilité et en attachement pour la Nature, afin de ne pas faillir au moment où, pour la première fois, elle a vraiment besoin de nous.

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