Le Chemin de Cassiopée

Conte d'escalade : Les filles ont quelque chose de plus... Dans la combe des Géants, il y a un bloc que personne n'a jamais réussi à escalader. Et pourtant, certains matins, au sommet du mégalithe, on devine des traces de magnésie...

Nouvelle numérique, aventure, escalade

Rien n'est plus extraordinaire ni plus beau que la Nature. Nous faisons partie d'elle et lorsque l'on s'approche d'elle en silence, que l'on peut la toucher, la sentir et la partager à deux, alors tout autour devient sublime, les couleurs, les odeurs, les bruits, les paysages et les êtres. Pour ceux qui ne la connaissent pas intimement, ceci est un conte. Mais je vous assure qu'il suffit de presque rien pour qu'il devienne réalité. J'espère que vous aurez envie de le partager autour de vous...
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Le jour s’est levé dans la combe des Géants. Le cri perçant d’une marmotte toute proche du bivouac tire Luc de sa torpeur. Il est le premier à sortir hors de la tente. Ses deux amis dorment encore. Des nappes éparses de brume légère flottent au ras du sol. La lumière du soleil réchauffe les sommets et descend déjà jusqu’aux pentes herbeuses juste en dessus du chaos des grands blocs de granite sombre...

Il doit être tard, mais rien ne presse ce matin. Les trois grimpeurs se sont couchés hier soir, pétris de fatigue après une journée entière d’escalade, à réaliser ou à tenter de réaliser les passages de blocs les plus difficiles de la combe. Aujourd’hui, dimanche, c’est le dernier jour, et ils doivent redescendre dans la vallée.

Le sifflement aigu retentit à nouveau à une cinquantaine de mètres de là, attirant le regard de Luc vers l’un des plus hauts monolithes, le bloc de l’Ange.

« Quelque chose doit déranger cette marmotte ! » se dit-il.

Le grand bloc semble flotter sur un petit nuage de brume évanescent qui s’étale tout autour de lui au-dessus de la prairie. Soudain, un léger courant d’air vient déchirer la brume, laissant deviner une silhouette humaine assise au pied du géant de granite. Luc, encore accroupi devant la tente, ouvre grand les yeux. Lorsqu’au bout de quelques instants, l’inconnue se lève, révélant la grâce et l’harmonie de ses formes à travers les volutes de brume légère, Luc reconnaît immédiatement une silhouette féminine.

« Mais que fait-elle là ? » se demande-t-il.

Pendant quelques instants, il lui semble qu’elle prie ou qu’elle se prosterne, un genou à terre, puis l’autre, devant le mégalithe. Ses gestes sont d’une extrême lenteur. Puis, debout, elle s’approche au plus près de la roche. Est-ce une illusion ? Est-elle réelle ou n’est-ce qu’un rêve ? Luc la devine plus qu’il ne la voit. Elle pose sa joue contre le granite et semble embrasser le géant à bras ouverts, le caresser lentement de ses mains. Puis, imperceptiblement, elle semble s’élever dans l’air.

« Incroyable ! songe Luc, elle est en train de grimper le bloc de l’Ange ! »

— Hé les mecs ! crie-t-il à voix basse en secouant la toile de tente. Réveillez-vous ! Venez voir ça !

Dix secondes plus tard, deux têtes hirsutes apparaissent dans l’ouverture de la tente.

— Est-ce que vous voyez ce que je vois là bas ? demande Luc.

Les deux amis se frottent les yeux :

— Heu… y’a quelqu’un qui grimpe, non ?

— Oui, c’est une nana. Mais regardez, elle est sur le bloc de l’Ange !

— Sur le chemin de Cassiopée ? s’inquiète Fred.

— Oui je crois, répond Luc.

— Whoaaaaaa ! s’exclame Jean, elle est déjà en dessus du deuxième pas, là où on s’est pété les doigts et cassé le nez pendant trois heures hier !

Le brouillard se dissipe et les trois potes observent, hébétés, la belle inconnue s’élever dans l’air. Elle semble faire corps avec le rocher. Comme dans un film au ralentit, elle enchaîne avec une grâce infinie et une aisance incroyable une séquence de mouvements lents qu’ils ne parviennent pas vraiment à déchiffrer ni à comprendre. Aucune prise n’était visible hier, le passage leur semblait tellement impossible. Et puis, ils se rappellent qu'au café du village, dans la vallée, les grimpeurs du coin leur avaient raconté que ce bloc-là, personne n’était jamais allé au sommet. Le chemin de Cassiopée, c’est un challenge impossible, presque un mythe. Tous les meilleurs grimpeurs de passage ici l’ont essayé, mais personne ne l’a jamais réussi.

Encore quelques secondes et la belle silhouette se rétablit en franchissant sans difficulté apparente le rebord supérieur du mégalithe. Juste à ce moment-là, la brume se referme à nouveau sur le grand bloc, bouchant totalement la vue aux trois amis et les laissant dans un état second. Les questions se bousculent alors :

— Elle était bien réelle, ou on a rêvé ?

— Non, nous ne serions pas trois à l’avoir vue.

— Mais alors, qui est-elle ?

— Oui, et comment a-t-elle fait ? Ce passage-là, c’est au moins du 8b… Il faut une technique et une précision d’enfer, une force et une souplesse incroyables, et un mental d’acier pour le réussir !

— Ouais, faut surtout pas être des bourrins comme nous ! s’exclame Luc en riant.

Dix minutes plus tard, correctement habillés et coiffés pour ne pas se présenter en loques devant leur vision de rêve, les trois amis arrivent en même temps que le soleil au pied du grand bloc. Ils font le tour du gros monolithe, mais ne trouvent plus aucune trace de la jeune femme ! Les rayons du soleil réchauffent déjà la roche, laissant entrevoir dans le chemin de Cassiopée deux minuscules traces de magnésie, non loin du rebord sommital. Avec beaucoup d’imagination, les trois amis devinent à cet endroit-là une micro-bossette et un minuscule gratton.

— Il n’y a pas de doute, c’est incroyable, elle est bien passée là. C’était un ange ! laisse échapper Luc.

— Oui bien sûr… elle s’appelait Cassiopée et ce bloc-là, c’est son bloc ! répondent ses deux amis en plaisantant.

— Vous sentez cette odeur ? demande soudain Luc, humant l’air autour de lui.

— Oui, il y a une senteur de plante sauvage subtile et très agréable ici.

— Elle semble portée par la brise. On dirait qu’elle vient des hauteurs du bloc !

Sur le chemin du retour dans la vallée, les trois amis ne peuvent s’empêcher de penser et de parler de l’événement.

— Si on leur raconte ça, en bas, ils ne vont jamais nous croire.

— Ouais, il faudra leur dire qu’on n'est vraiment pas sûr de ce qu’on a vu, sinon ils vont se demander ce qu’on a fumé là-haut !

Deux heures plus tard, au café du village, les conversations vont bon train, de la terrasse jusqu’au comptoir. Un grimpeur local confirme que certains matins, on devine d’infimes traces de magnésie sur les plus hautes aspérités du bloc de l’Ange.

Les anciens, de leur côté, racontent que le sommet est légèrement incurvé. Ils évoquent une légende ancienne qui dit qu’il s’y trouverait une petite cuvette naturelle pleine d’eau limpide entourée de fleurs sauvages et d'herbes rases, un véritable petit jardin suspendu, aussi extraordinaire qu’inaccessible.

Quant aux noms que portent le bloc et l’unique voie qui donne accès à son sommet, personne n’en connaît l’origine…

Mais le temps passe et les trois amis doivent partir précipitamment du café pour ne pas rater leur train à la gare du village.

En passant devant les étals du marché, Luc est soudain intrigué par une odeur particulière et très subtile qu’il lui semble reconnaître.

« C’est le même parfum étrange que celui qui flottait dans l’air tout autour du bloc de l’Ange ! », songe-t-il surpris.

Très vite, se laissant guider par la mystérieuse senteur, il s’arrête devant un tout petit étal de fleurs sauvages et d’herbes aromatiques séchées. Une jeune femme est assise en travers sur une petite chaise, derrière la vieille planche de bois noueuse qui sert de présentoir aux plantes odorantes. Elle lit un livre posé sur ses genoux. Ses longs cheveux châtains cachent son visage. Par-dessus son épaule, Luc reconnaît l’ouvrage :

— C’est la Théorie de Gaïa… non ? demande-t-il.

— Oh pardon, bonjour, oui ! répond-elle en levant la tête et se retournant vers Luc. Excusez-moi, je ne vous avais pas vu, fait-elle avec un très joli sourire.

Très troublé en découvrant les yeux magnifiques de la jeune femme, Luc reste muet pendant plusieurs secondes.

— Je… je… bonjour, oui, je… voudrais savoir quelle est cette plante qui sent si bon chez vous ?

— C’est ce brin de génépi, lui répond-elle en montrant de la main une petite plante suspendue sous l'auvent de son étal. Mais je ne la vends pas, s’empresse-t-elle de préciser. C’est une variété très odorante extrêmement rare. Elle ne pousse plus qu’à un seul endroit.

Luc ne peut s’empêcher d’observer la beauté de la jeune femme, sa grâce, son calme, la détermination et la très grande humilité qui se lit dans ses yeux… et ses mains. Il reconnaît les ongles courts et les doigts à la fois délicats et puissants d’une grimpeuse.

— Vous la récoltez vous-même ? lui demande-t-il avec malice.

— Oui, lui répond-elle un peu intriguée, un seul brin et une seule fois par an.

— Et vous ne pouvez pas me dire à quel endroit… n’est-ce pas ?

— Non je ne… mais, pourquoi cette question ? Vous m’avez vue ? lui demande-t-elle cette fois très inquiète.

— Non, lui répond-il en secouant la tête d’un ton espiègle, mais très rassurant. Ce matin, j’ai vu un être extraordinaire et sublime dans la combe des Géants. Ce qu’il faisait là était absolument incroyable. Ça ne pouvait être qu'un ange. J’ai bien une petite idée de ce qu’il était venu chercher, mais promis, jamais je ne révélerai son secret à personne !

L’inquiétude se dissipe alors sur le visage de la jeune femme, laissant place à la reconnaissance.

— Merci, lui répond-elle avec un très beau et bouleversant sourire.

Mais juste à ce moment-là, une main empoigne énergiquement Luc par l’épaule :

— On te cherche partout, grouille-toi, on va rater le train…

Entraîné par ses potes, Luc a juste le temps de se retourner pour échanger un dernier sourire chargé de regrets avec la jeune femme et lui dire au revoir d’un signe de la main.

Puis les trois amis tournent au coin de la rue, laissant derrière eux la place du village et son marché.

— Vous êtes lourds les mecs, je n’ai même pas eu le temps de lui demander son prénom !

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Vos commentaires

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  • Michel, Marseille le 15.08.19 - 19:54:32

    Cela appel une suite ... ;o)

  • Brire Aix en Provence le 08.06.16 - 10:50:21

    A D O R A B L E. Merci. On a aimé.

  • Loup de Saintonge le 04.06.16 - 20:58:30

    Vous aimez cette histoire, ou peut être pas... merci beaucoup de me laisser vos impressions

Merci pour vos commentaires !
Loup